A propos
Théories du K.O. inaugure sa collection avec une publication de Michel Thévoz qui d’emblée ouvre une réflexion sur le renouvellement du concept d’art brut et sa déterritorialisation au 21ème siècle.
Ce premier ouvrage donne une assise intellectuelle forte à la collection mais aussi une véritable impulsion.
Michel Thévoz (né en 1936) est une figure incontournable de l’art brut, et une référence majeure en histoire de l’art, qu’il a longtemps enseigné à l’université de Lausanne. En contact avec Jean Dubuffet, il a été à l’initiative de la création de la Collection de l’Art Brut à Lausanne, dont il a assumé la direction depuis sa fondation en 1976 et jusqu’en 2001. Il a également consacré une trentaine d’ouvrages à des phénomènes borderline tels que l’académisme, l’art des fous, le spiritisme, le reflet des miroirs, l’infamie, le syndrome vaudois, le suicide, la pathologie du cadre.
Depuis une quinzaine d’années, l’Art Brut connaît un engouement sans précédent, que ce soit auprès du public, du marché de l’art ou des musées – preuve en est la très belle exposition « Dans l’intimité d’une collection. Donation Bruno Decharme » qui lui est consacrée au Grand Palais depuis le 20 juin dernier.
Cependant, force est de constater, comme le souligne Michel Thévoz, que « l’époque héroïque de l’Art Brut et ses zones d’élection, psychiatriques, carcérales et spirites, sont aujourd’hui révolues ». Dès lors, où se trouvent les « nouvelles sources » d’où découle aujourd’hui l’Art Brut ? C’est à cette question que s’attache Michel Thévoz, dressant un état des lieux qui le conduit nécessairement à questionner la définition même d’Art Brut à l’heure actuelle. Présent aux côtés de Dubuffet dès l’émergence de l’Art Brut, Michel Thévoz est incontestablement le mieux placé pour en analyser l’évolution au fil du temps. Il met ainsi en évidence le passage d’une relation artistique syncopée entre psychiatre et patient à celle, continue et en synergie, que l’on trouve de nos jours dans les ateliers participatifs, très éloignés de l’art thérapie. Analysant les productions artistiques de certains artistes bruts majeurs du XXIe siècle, tels que Dwight Mackintosh, Markus Buchser, Irène Gérard, Rudolf Horacek, Gene Merritt, Curzio di Giovanni ou encore Joseph Lambert, Michel Thévoz souligne certains thèmes récurrents dans les oeuvres de ces artistes handicapés – le visage, le rapport à l’écriture – et nous montre comment ces oeuvres, en proposant des visions différentes de notre monde logocentré et orthogonalisé, font ressortir nos propres conditionnements mentaux. Des ateliers participatifs aux ZAD, des anarchitectures aux graffs, Michel Thévoz explore ainsi les productions d’Art Brut d’un nouveau genre : plus collectives, interactives aussi. Ces oeuvres accordent surtout une place plus centrale au regardeur, dont la réception et l’interprétation font partie intégrante du processus artistique – on est bien loin, ici, de la notion d’« Art » avec son intimidante majuscule, puisque toute oeuvre demeure ouverte à celui qui accepte de la regarder, et, ce faisant, de questionner sa propre normalité.
Et, finalement, n’est-ce pas cela, le propre de l’Art Brut ?